Les bouleversements invisibles du retour d’expatriation

Changer de pays de résidence , que ce soit dans le sens du départ ou du retour, c’est opérer de grands bouleversements intérieurs. Ces changements s’effectuent pour la plupart de manière inconscientes, bien qu’on en ressente les « effets secondaires » (fatigue, solitude, dépression ou période de doutes intenses). Les mécanismes de l’adaptation culturelle sont complexes et ils se matérialisent par des centaines de petits changements qui ont lieu au plus profond de soi-même, graduellement au fil du temps (réflexes, habitudes, croyances, manière de formuler des idées, emploi de certains mots, réactions situationnelles, interactions humaines, gestes, etc.).

Si nous percevons bien l’ampleur de ces changements lors du retour d’expatriation, où ils sont rappelés à nous de manière brutale et simultanée, il nous est très difficile de les décrire et de les comprendre dans toute leur complexité. C’est cette incapacité à trouver les mots et à expliquer à l’Autre ce que l’on vit qui est à l’origine du sentiment d’exclusion, d’incompréhension ou de décalage très souvent ressenti par les personnes qui reviennent de l’étranger, et qu’on connaît sous le nom de « re-entry shock » ou choc culturel inversé.

Expatriation et identité

Des recherches ont démontré l’impact du bilinguisme sur la créativité et sur la manière dont notre cerveau traite et gère l’information. On sait que le fait de parler plusieurs langues et d’appartenir à plusieurs contextes culturels modifie certaines connexions cérébrales et stimule certaines zones du cerveau peu sollicitées chez une personne « uniculturelle ». Si on ajoute au bilinguisme des changements fréquents d’environnements physiques (vivre dans plusieurs contextes nationaux et régionaux), les stimulations sensorielles s’ajoutent aux stimulations intellectuelles (nouvelles odeurs, nouveaux goûts, nouvelles textures, nouveaux paysages, nouveaux sons) et les connexions s’intensifient. L’affectif et la mémoire sont particulièrement affectés (fabrication de souvenirs intenses associés à des moments émotionnels forts, parfois au point de supplanter certains souvenirs d’enfance). C’est ce qui rend si puissante la nostalgie post-expatriation ou post-voyage.

Plus le nouvel environnement est exigeant en termes d’adaptation (il va à l’encontre des habitudes et peut-être même des valeurs de l’expatrié), plus l’adaptation est gourmande en ressources (et donc en énergie), et plus des modifications profondes affectent l’individu, son identité, son référent culturel. Plus l’on s’adapte à une nouvelle culturel, plus on développe sa capacité à s’adapter plus vite et mieux à d’autres nouvelles cultures dans le futur. Pourquoi? Parce que tout simplement s’adapter suppose de se détacher de sa propre culture : plus on développe cette capacité à prendre du recul sur ce qui fait sa propre identité, plus on est apte à adopter facilement d’autres pratiques et d’autres manières de penser.

Au bout de plusieurs expatriation successives dans de nombreux pays, ou lors d’un tour du monde, l’expatrié développe son intelligence culturelle par paliers successifs. Il atteint ainsi un niveau élevé d’intuition culturelle, il est parfaitement détaché de sa culture d’origine et finit même par ne plus se reconnaître dans aucune culture spécifique : il est si « adaptable » qu’il en devient inadapté à n’importe quel contexte national ou régional trop marqué.Son identité profonde, sa personnalité, ses habitudes et ses ambitions ont alors changées de manière irréversible.

On imagine facilement alors le choc puissant qui se produit lorsque l’expatrié ou le voyageur rentre finalement « chez lui » avec une intelligence culturelle aussi développée, surtout dans le contexte de la France où cette intelligence n’est absolument pas valorisée. Dans un pays très peu tourné vers l’extérieur, il est extrêmement difficile de « désapprendre » son ouverture sur le monde pour espérer rentrer à nouveau dans les cases. Encore faut-il le vouloir et y trouver un intérêt. Il y a conflit entre la nouvelle identité profonde de ces personnes, et leur propre contexte culturel qu’elles n’ont ni l’envie, ni l’énergie de « réapprendre ».

Il est malheureux de voir les professionnels du monde de l’expatriation parler d’ addiction à l’international : si les personnes qui repartent sont si nombreuses, ce n’est pas parce qu’elles sont « droguées » et qu’elles ont besoin d’une bonne cure de désintox pour rentrer dans le moule. Cela traduit une triste méconnaissance des expatriés, même au sein des experts qui travaillent avec eux!

C’est au contraire parce que les personnes avec une intelligence culturelle (et émotionnelle) développées n’ont pas la possibilité de s’exprimer une fois rentrées en France. On leur demande de désapprendre au plus vite tout ce qu’elles sont devenues depuis plusieurs années pour les forcer à rentrer dans des cases qui de toutes façons ne les intéressent pas. La société française, très fermée sur elle-même, très conventionnelle, très hiérarchique, ne laisse pas beaucoup de place aux compétences relationnelles, à l’intuition, aux personnes dont l’identité s’est enrichie des nouvelles perspectives dont nous manquons pourtant cruellement.

 

Intelligence culturelle, intelligence émotionnelle

On parle depuis quelques années aux Etats-Unis d’ intelligence culturelle, qui se définit comme la capacité de « lire » intuitivement des codes culturels différents de siens, et qui se trouve être étroitement liée à l’intelligence émotionnelle (capacité intuitive de lecture des émotions d’autrui, et de contrôle de ses propres émotions). C’est à la frontière floue entre ces deux « intelligences » (ou plutôt « intuitions ») que sont nos capacités d’adaptation culturelles : quand la lecture émotionnelle est fausse ou que nous sommes submergés par nos propres émotions (colère, dégoût, rejet de certaines différences), il ne peut y avoir d’intelligence culturelle. Par ailleurs, on peut parfaitement ressentir les émotions de l’Autre sans savoir quoi faire et comment faire pour décoder la situation et agir de manière appropriée.

Il y a donc un équilibre à trouver entre son intuition émotionnelle et son intuition culturelle, sur lequel nous jouons les funambules pendant toute la durée de l’expatriation, et bien plus encore au retour. On ne le mentionne pas assez, mais à l’étranger aussi les moments difficiles existent. Il y a forcément des moments de doute, des moments de fatigue ou de lassitude, des moments de rejet de l’autre culture qui déstabilise notre base identitaire. Ces vas et viens entre phase d’adaptation et phase de résistance au changement touchent profondément qui nous sommes, c’est pour cette raison qu’ils sont accompagnés d’une très forte charge émotionnelle.

On ne bouleverse pas se identité profonde, faite de milliers de valeurs, de positionnements, de codes, de souvenirs, de mots et d’actions, sans traverser « les montagnes russes » émotionnelles. L’expatriation fait travailler très intensément le regard sur soi-même et force à une étude minutieuse de tout ce qui nous constitue : c’est une analyse psychologique intensive pour laquelle nous n’avons pas forcément tous « signé » de manière consciente avant le départ. Il est donc normal d’osciller autant entre périodes d’euphories (sentiment d’accomplissement, de liberté totale, d’appartenance méritée), périodes de doutes (suis-je vraiment qui je voudrais être en étant ici?) et périodes de défaitisme (mal du pays, nostalgie, sentiment de solitude…).

Lors du retour, les montagnes russes continuent voire s’amplifient dans un premier temps. Le principal problème est que les expatriés rentrent avec la croyance que le retour « ira de soi » puisqu’ils rentrent « chez eux ». On se dit souvent que le retour sera alors facile à gérer puisqu’il n’y aura plus aucun effort d’adaptation culturelle à faire. Erreur! Il faudra redoubler d’énergie et de patience pour s’ajuster à nouveau à ce qui est devenu un nouvel environnement, avec ses propres valeurs et ses propres codes que parfois les expatriés ont oublié. Cela peut cependant aller beaucoup plus vite que l’adaptation en sens inverse, mais pas toujours.

Gérer ses énergies

Qui dit « montagnes russes » émotionnelles dit énorme consommation d’énergie. Organiser un déménagement international, préparer une rentrée scolaire, chercher un logement, un emploi, trouver les informations, devoir raconter inlassablement à tout le monde son récit … tout cela est déjà éprouvant. C’est d’autant plus fatiguant que toutes ces étapes sont franchies rapidement dès le retour, en pleines « montagnes russes », avec des jours avec et potentiellement quelques jours sans. Il est donc très important d’accorder une grande place à la gestion de ses énergies pendant, et (longtemps) après, le retour d’expatriation.

Parmi les facteurs aggravants de cette grande consommation d’énergie intérieure, on trouve le sentiment d’échec, d’inachevé, l’absence de cap ou de projet précis, voire la culpabilité qui est parfois associée au retour. Tout le monde ne rentre pas au moment et dans les conditions espérées (retour suite à un licenciement, problème de visa, rupture amoureuse, problèmes familiaux, problèmes de santé, etc.). Il peut y avoir alors un sentiment légitime de frustration (‘Je n’ai pas pu vivre mon aventure jusqu’au bout »), un sentiment d’échec (« Je n’ai pas réussi mon immigration, je retourne à la case départ ») ou un sentiment de culpabilité (« J’aurais dû m’investir plus, prévoir plus, m’organiser mieux… »). Ces sentiments négatifs sont d’énormes consommateurs d’énergie : ils paralysent, ils ralentissent, ils aggravent, ils dramatisent. En un mot, ils vous freinent. Il est impératif de consulter rapidement un psychologue pour évacuer profondément ces sentiments handicapants et ne pas vous reconstruire avec eux.

Etablir des priorités claires est essentiel. Tout ce qui est trop demandant sur le plan émotionnel doit être laissé de côté (stress, pression familiale ou professionnelle, situations de conflits…) dans la mesure du possible, pour se concentrer sur l’introspectif, la sérénité, l’absence d’émotions fortes. Yoga, sport, plein air, art, rencontres, nouveaux projets… Tout ce qui régénère et redonne de l’énergie doit tenir une place de choix dans votre emploi du temps.

Rentrer sans projet qui vous motive sincèrement et profondément est beaucoup plus difficile. C’est un moment perturbant et il peut être très utile pour se retrouver soi-même et mieux saisir les bouleversements identitaires qui se sont opérés d’avoir un objectif, un cap, même une ligne directrice (« je veux me reconvertir professionnellement » par exemple) qui motivera toutes vos actions à venir.

Article tiré du site retourenfrance.fr